Le régime des traités en droit haïtien constitue un sujet riche en réflexions. Les particularités du système ont souvent suscité des débats houleux, sans toutefois en faire l’objet de travaux documentés. En réalité, les choix opérés par les constituants de 1987 n’ont jamais été neutres. D’abord, l’emploie indifférencié des termes « traité », « accord » et « convention » traduit une certaine affiliation au droit international où effectivement la distinction entre ces termes est tout à fait inopérante.
Si le droit des traités trouve son développement progressif et sa codification dans la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, il n’en demeure pas moins que la Constitution du 29 mars 1987 constitue la source principale à laquelle sont attachés pratiquement les pouvoirs publics. Cette constitution institue les autorités (nationales) compétentes en matière de conclusion de traités, la procédure à suivre et le rang de la norme conventionnelle dans l’ordre juridique interne.
Mais au fond, cette Constitution semble traduire plus d’aspirations politiques que de postuler pour des choix rationnels. D’où la difficulté de voir dans cette Constitution une charte entièrement moderne, malgré les valeurs démocratiques qu’elle charrie. Sans surprise, le nouveau régime institué a quasiment supplanté le pouvoir exécutif. Cela dit, si le Président de la République garde l’initiative de négocier et de signer les traités, conventions et accords internationaux (I), son office est strictement soumis au bon vouloir du pouvoir législatif (II).
I. Les attributions du pouvoir exécutif
La Constitution de 1987 a institué un pouvoir exécutif bicéphale, composé donc d’un Président de la République et d’un Premier ministre. Le premier est le chef de l’État et le second le chef du gouvernement. Elle attribue uniquement au Président des prérogatives en matière de conclusion des traités (A). Le gouvernement est tenu, théoriquement, à l’écart du processus de formation des engagements internationaux. Tout de même, il s’est fait une certaine place avec la pratique (gouvernementale) des accords en forme simplifiée (B).
A.- Le rôle du Président de la République
La Constitution de 1883 accordait au Président des prérogatives importantes en matière de conclusion de traités. Aux termes de l’article 115 de cette Constitution, le Président de la République assurait la conduite des relations internationales. Il faisait les traités, ce qui incluait leur négociation, leur signature et leur ratification.
Avec l’adoption de la Constitution de 1987, les pouvoirs du Président ont été particulièrement réduits face à un Parlement, en puissance, qui s’est considérablement renforcé à l’occasion. Le Président garde la prérogative de négocier et de signer les traités, toutefois on lui a enlevé le pouvoir de les ratifier. Son office se trouve strictement soumis, ce dans tous les cas, à l’autorisation législative.
L’article 139 de la Constitution désigne le Président comme autorité chargée de la négociation et de la signature des traités. Toutefois, cette disposition ne le contraint pas à participer personnellement aux conférences diplomatiques à la suite desquelles devrait être établi le texte final. Dans la pratique, il s’agit de l’œuvre d’experts ou de diplomates, munis de pleins pouvoirs, conformément aux dispositions de l’article 7 de la Convention de Vienne sur le droit des traités.
Dans ce cadre, le gouvernement prend les mesures nécessaires afin de concrétiser l’office du Président en matière de conclusion des traités. Mais, les relations entre le Président et son gouvernement (particulièrement avec le Ministre des Affaires Étrangères et des Cultes) n’ont jamais fait l’objet d’une codification connue. Il a été donc possible de déborder le cadre procédural établi par la Constitution de 1987. La pratique gouvernementale s’est alors étendue aux accords en forme simplifiée, qui pourtant ne sont pas consacrés par la Constitution.
B.- La pratique des accords en forme simplifiée
La Constitution de 1987 n’a pas attribué de compétences spécifiques au gouvernement en matière de conclusion des traités. Toutefois, cette branche du pouvoir exécutif s’attribue un rôle secondaire dans le processus de formation des engagements internationaux. Si la Constitution met en avant le Président, il n’est pas toujours évident que c’est lui qui participe personnellement aux négociations internationales. Car celles-ci donnent lieu, en général, à des débats hautement politiques et techniques relatifs aux enjeux mondiaux ou régionaux.
Les représentants de l’État doivent disposer du savoir faire nécessaire, et donc en saisir les enjeux qui se présentent. Le gouvernement s’introduit dans la politique étrangère afin de concrétiser l’office du Président. Il s’agit aussi de mettre en œuvre les engagements internationaux pris par l’État et de veiller à leur respect.
Mais l’intrusion du gouvernement dans la politique étrangère ne suit pas toujours un cadre logique. On observe que le gouvernement s’est fait une place en matière de conclusion des traités, non pas comme un bras du Président, mais un acteur principal sur la scène internationale. Il s’agit d’un ensemble d’accords signés en forme simplifiée, qui sont des « engagements internationaux conclus en dehors de la forme dite normale, c’est-à-dire celle qui requiert la délivrance de pleins pouvoirs suivie d’une ratification, que celle-ci ait été ou non précédée d’une approbation parlementaire ».
Ces accords prennent le plus souvent la forme de protocole d’accord. Ils sont conclus à un seul degré, c’est-à-dire applicables dès leur signature. Ils sont signés soit sous les auspices du Premier ministre, soit sous ceux du Ministère des Affaires Étrangères et des Cultes. Parfois, il s’agit de ministères sectoriels qui agissent conjointement en signant des accords avec d’autres gouvernements étrangers ou institutions internationales. Ces accords – contrairement à la doctrine relative aux accords en forme simplifiée qui veut que ces derniers soient portés sur des questions purement techniques mineures ou dont le règlement ne doit pas excéder les pouvoirs normalement dévolus à l’exécutif – sont signés sur des questions importantes de la vie politique nationale, telles que l’éducation, la santé et l’environnement.
Tout compte fait, il s’agit d’un procédé qui permet de contourner, d’une certaine façon, la procédure constitutionnelle (rigide) instituée par la Constitution de 1987, qui attribue au pouvoir législatif un rôle très déterminant en matière de conclusion des traités.
II. Les attributions du pouvoir législatif
La politique étrangère de l’État est strictement soumise au contrôle parlementaire. À l’occasion de l’adoption de la Constitution de 1987, ce contrôle a été particulièrement renforcé. En effet, le Parlement s’est attribué la prérogative de la ratification des traités qui jadis revenait au Président de la République (A). Aussi, ce qui n’est pas nouvelle, cette Constitution établie une distinction entre la ratification, qui concerne les traités en général, et l’approbation, qui ne concerne que les traités de paix (B).
A.- La ratification des traités
Selon l’article 139 de la Constitution de 1987 : « Il (le Président) négocie et signe tous traités, conventions et accords internationaux et les soumet à la ratification de l’Assemblée nationale ». Ici, il est clair que le Parlement joue un rôle indiscutable en matière de conclusion des traités. Il s’agit d’un domaine partagé entre les deux pouvoirs. Ce qui sous tend que l’exécutif seul ne peut engager l’État à l’échelle internationale sans l’autorisation législative nécessaire.
Ici on peut envisager deux possibilités. La première c’est le cas d’un traité négocié et signé par le Président, et qui est dûment ratifié par le Parlement. Celui-ci adopte un décret de ratification, conformément aux dispositions de l’article 276-1 de la Constitution. Ce décret de ratification est publié, à l’initiative du Président, dans le journal Officiel le Moniteur. Par ailleurs, un instrument de ratification doit être déposé auprès du dépositaire dudit traité, selon ce qui est prévu à travers ses clauses finales. Il s’agit d’une formalité essentielle, cela permet aux autres États parties ou signataires du traité de s’enquérir sur son état de ratification de laquelle dépend normalement son entrée en vigueur.
Lorsque les traités sont dûment ratifiés, c’est-à-dire dans le respect des formes prévues par la Constitution, ils intègrent le droit interne et peuvent être invoqués par les justiciables à l’occasion d’un litige quelconque. S’agissant de leur place dans l’ordre juridiction interne, les traités sont inférieurs à la Constitution, vu leur obligation de se conformer à celle-ci, et ont une autorité supérieure aux lois par leur abrogation tacitement.
La seconde c’est le cas d’un traité négocié et signé par le Président, mais qui n’est pas ratifié par le Parlement. Il s’agit d’une situation délicate dans la mesure où la procédure tracée par la Constitution de 1987 ne permet pas de passer outre de l’autorisation législative. Dans d’autres systèmes, le pouvoir exécutif sait prendre l’initiative d’inviter certains parlementaires influents aux négociations afin de gagner la confiance du Parlement, et donc d’augmenter la possibilité que le traité signé soit ratifié. Mais une telle pratique n’est pas sans inconvénient, elle crée notamment le risque d’une certaine confusion des pouvoirs. À côté de la ratification des traités dévolue au Parlement, certains traités sont spécifiquement soumis à son approbation.
B.- L’approbation parlementaire
Certains traités sont soumis à l’approbation de l’Assemblée nationale, au lieu de leur ratification par celle-ci. C’est le cas des traités de paix qui sont négociés et signés avec l’approbation de l’Assemblée nationale, comme le prévoit l’article 140 de la Constitution.
La conclusion des traités de paix se fait selon un procédé plus souple. Il s’agit là d’une exception à la règle générale de la conclusion en forme solennelle des traités. On pourrait donc inclure les traités de paix dans la catégorie des accords en forme simplifiée, qui sont conclus à un seul degré.
S’agissant de la procédure d’approbation, la Constitution de 1987 n’est pas suffisamment claire sur cet aspect. L’approbation de l’Assemblée nationale est-elle donnée au préalable ? Les traités approuvés sont-ils donnés sous forme de décret, comme cela se fait pour la ratification ? Quelle majorité réunie faut-il pour le vote d’approbation ? Ou doit-on suivre la pratique Parlementaire en matière d’approbation des choix du pouvoir exécutif ? Ces questions, en autres, montrent la nécessité d’une certaine clarification quant à l’approbation des traités à laquelle fait référence la Constitution.
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En guise de conclusion, la formation des engagements internationaux en droit haïtien constitue un domaine partagé. En effet, si l’exécutif, par l’entremise du Président de la République, a l’initiative des traités, ces derniers sont soumis à l’autorisation législative, soit par la ratification, soit par l’approbation. La Constitution de 1987 n’a pas consacré de procédure parallèle à la conclusion des traités en forme solennelle, à l’exception des traités de paix qui sont tout simplement soumis à l’approbation parlementaire. Mais cette procédure rigide n’a pas empêché l’intrusion des accords en forme simplifiée au sein de l’action gouvernementale, même si leur régime juridique demeure inconnu. Ce choix opéré par les constituants de 1987 répond, certes, aux aspirations légitimes de l’époque, mais cela ne correspond guère aux réalités des relations internationales contemporaines où l’État se doit être dynamique sur la scène politique internationale. Il est donc important que le contrôle parlementaire soit rationnalisé en matière de politique étrangère, que les accords en forme simplifiée soient encadrés pour une meilleure harmonisation des engagements internationaux pris par l’État. Il est souhaitable que ces considérations, entre autres, soient prises en compte dans le cadre de la réforme constitutionnelle en cours.
Delva DIMANCHE
Chargé de cours, Centre d’Études Diplomatiques et Internationales
Associé chez Expertus Firme d’Avocats