
L’adoption internationale est un phénomène récent, qui s’est développé au cours des années 80 avec le phénomène de migration massive d’enfants sortant de pays sud à destination des pays occidentaux. L’adoption internationale a fait ses débuts en Haïti sous l’égide du Décret du 4 avril 1974 sur les formes et conditions relatives à l’adoption. Ce décret ne reconnaissait que l’adoption simple, alors que l’adoption internationale est toujours plénière. Avec le développement rapide de l’adoption internationale en Haïti, ce décret va se révéler inadapté aux nouvelles réalités de l’adoption. Comme faiblesses majeures, l’intérêt supérieur de l’enfant n’était pas considéré, il ne définissait pas les conditions d’adoptabilité des enfants et ne prévoyait aucun système de suivi post adoption. Le tremblement de terre du 12 janvier 2010 va montrer à corps et à cris les lacunes du Décret du 4 avril 1974, un des pionniers dans l’histoire juridique de l’adoption en Haïti.
La Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE), ratifiée par Haïti le 23 décembre 1994, offrait déjà certaines garanties relatives aux droits des enfants qui sont engagés dans l’adoption. Ladite convention a consacré le principe de subsidiarité de l’adoption, selon lequel l’adoption (internationale) doit être un dernier recours, c’est-à-dire lorsqu’il n’est pas possible de proposer à l’enfant une alternative familiale dans son pays natal. Ce principe édicté par la convention devait être tout de même transcrit en droit interne par les pouvoirs publics concernés.
Entre temps, même si le processus de refonte du cadre légal désuet qui existait était déjà entamé, la ratification par Haïti de la Convention de la Haye de 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale allait inciter davantage à repenser le système d’adoption de manière à se conformer à cette convention. Ainsi, une nouvelle loi a été adoptée, la loi du 15 novembre 2013 réformant l’adoption. Cette loi vient changer complètement le paysage juridique haïtien en matière d’adoption. Même si le chantier n’est pas totalement achevé mais cette loi nouvelle mérite toute notre attention, dans la mesure où elle témoigne, d’une part, une prise en compte scrupuleuse de l’intérêt supérieur de l’enfant (I) et, d’autre part, elle institue un cadre procédural qui se veut particulièrement respectueux des droits de l’enfant (II).
- Une prise en compte scrupuleuse de l’intérêt supérieur de l’enfant
Pendant longtemps, c’est la situation de pauvreté des familles haïtiennes qui guidait leur décision de proposer un enfant à l’adoption. Les professionnels du domaine étaient surtout attirés par le montant exorbitant qu’ils pouvaient gagner et mettaient donc l’emprise sur l’aspect économique de la question. La loi du 15 novembre 2013 opère un changement de paradigme. Ces motifs sous la base desquels on confiait un enfant en adoption ne sont plus valables. L’intérêt supérieur de l’enfant devient le maître-mot en matière d’adoption. Comme le précise l’article 3 de la nouvelle loi, l’« adoption est une mesure de protection qui se fonde sur l’intérêt supérieur de l’enfant pour lui offrir un milieu permanent et propice à son épanouissement ».
Il faut admettre qu’auparavant, les parents biologiques n’étaient pas suffisamment conscients des conséquences juridiques liés à leur décision de faire adopter leur(s) enfant(s) par des parents étrangers. La nouvelle loi introduit ce qu’on appelle le « consentement éclairé » des parents. Avant même de prendre la décision de donner un enfant en adoption, les parents biologiques sont informés des conséquences juridiques qui sont attachées à leur acte. L’institut du Bien Etre Social et de Recherches (IBESR) organise à leur intention des séances de counseling au cours desquelles ils apprennent à distinguer, par exemple, l’adoption simple de l’adoption plénière. Leur décision finale doit être donnée par devant le juge pour enfant (article 43 de la loi du 15 novembre réformant l’adoption).
À ce stade, le processus d’adoption devient inclusif, voire participatif. Même l’enfant, à un certain âge, participe à la décision de son adoption. La loi du 15 novembre 2013 permet donc de requérir l’opinion de l’enfant à partir de l’âge de huit (8) ans (article 18). On doit rappeler que le principe de l’opinion de l’enfant est consacré par la Convention internationale des droits de l’enfant. La nouvelle loi a aussi toute son mérite pour avoir introduit un cadre procédural qui se veut particulièrement respectueux des droits de l’enfant.
2. Un cadre procédural respectueux des droits de l’enfant
La Convention de La Haye de 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale constitue, effectivement, un instrument clé de coopération internationale en matière d’adoption. Sa particularité c’est d’avoir contribué à la « création d’un cadre référentiel international avec un système mondial d’adoption internationale cohérent, fondé sur des règles et supervisé par les États ». Les États parties à une telle convention doivent satisfaire aux obligations imposées par celle-ci, parmi lesquelles l’établissement d’une autorité centrale en matière d’adoption (article 6).
En Haïti, cette obligation s’est traduite par l’établissement de l’IBESR comme autorité centrale en matière d’adoption. Cette autorité centrale, comme le précise la loi du 15 novembre 2013, « est chargée de promouvoir la coopération entre les autorités compétentes dans le but d’assurer la protection des enfants et de pendre toutes les mesures appropriées pour prévenir les pratiques illicites et les gains matériels indus à l’occasion d’un placement dans une maison d’enfants ou durant le processus d’adoption » (article 37).
Avec l’instauration de cette autorité centrale, le processus d’adoption a été hautement durci. À ce jour, seul l’IBESR est chargé d’instruire les dossiers d’adoption et de déterminer l’adoptabilité ou non d’un enfant. Cette mesure a en quelque sorte mis fin au règne des opérateurs privés (les crèches, les avocats et les maisons d’enfants). Aujourd’hui, la procédure d’adoption internationale est entièrement institutionnalisée. Sous l’égide de cette nouvelle loi, les demandes qui concernent l’adoption internationale sont introduites par le biais d’un Organisme Agréé en matière d’adoption (OAA) (article 47). Cela dit, les personnes qui résident à l’étranger et qui désirent adopter un enfant en Haïti doivent obligatoirement déposer leur dossier auprès d’un OAA se trouvant dans leur pays de résidence habituelle. Cet organisme, agréé, se chargera de faire les suivis nécessaires auprès de l’autorité centrale haïtienne.
Enfin, il faut souligner que la concrétisation de l’adoption internationale (qui est toujours plénière), c’est-à-dire l’établissement d’une nouvelle filiation adoptive, ne met pas fin au processus ou aux liens institutionnels qui sont tissés entre l’OAA concerné et l’autorité centrale haïtienne. Si autrefois le suivi post adoption n’était pas organisé (sous l’égide du Décret du 4 avril 1974), la nouvelle loi a institué un système de suivi post adoption, qui permet de connaître la situation de l’enfant au sein de sa famille adoptive et son adaptation au nouveau contexte social dans lequel il évolue. Ce suivi post adoption se fait sous la base de rapports qui sont communiqués par l’OAA, pendant les premiers mois, à l’autorité haïtienne. Autant de mesures de protection qui laisse voir dans la nouvelle procédure établie un très grand intérêt pour les droits de l’enfant.
* * *
À travers cette contribution, on a voulu faire ressortir certains aspects positifs de la loi du 15 novembre 2013 réformant l’adoption. En effet, cette loi a sans doute essentialisé la notion d’intérêt supérieur de l’enfant, qui constitue désormais le maître-mot en matière d’adoption. Par ailleurs, elle a institué un cadre procédural qui se veut particulièrement respectueux des droits de l’enfant. Cette loi admet certes des limites, mais sa portée pour les enfants haïtiens ne doit pas être occultée !
Delva DIMANCHE
Chargé de cours, Centre d’Études Diplomatiques et Internationales
Associé senior chez Expertus Firme d’Avocats